INDICIBLES CRUAUTES
La vieille porte du vestiaire faillit sauter de ses gonds quand Auxence la franchit. Son visage était tellement déformé par la colère que ses deux coéquipiers restèrent à une distance respectable. Les affaires furent tirées avec violence du sac de sport, et il les mit de la même façon. Ensuite, il soupira profondément en passant ses mains sur ses cheveux cendrés. Puis il se leva, saisit un ballon de basket posé dans un sac tressé de grosses cordes, avant de sortir faire quelques passes pour chasser ce nuisible d’Idriss de sa tête et être prêt à jouer. Daegan maudit une nouvelle fois Idriss. Il ne savait pas ce qu’il lui voulait, mais il avait réussi à mettre le capitaine en pétard, une chose rare. Pourvu que cela ne porte pas préjudice à l’équipe et au match, espérait le jeune homme intérieurement.
C’était le même rituel que la semaine dernière. Toujours le même show avant le match, jusqu’à ce que cela commence. Par un miracle quasi-divin, Auxence arriva calme et concentré, bien que son visage soit fermé. Le match débuta, et rapidement, l’équipe du jeune homme s’imposa par son jeu et ses joueurs.
Plus tard, dans la partie, Auxence marqua un panier à trois points, et ce fut l’euphorie dans la salle : les cris et les sifflements retentirent comme un seul. Tout le monde, dans le public, semblait pris corps et âme dans le match, supportant du mieux qu’ils le pouvaient leurs joueurs. Tout le monde, sauf un. Avec une attention toute particulière, Idriss suivait le jeu, et surtout celui d’Auxence. Les mouvements étaient fluides, précis et sans gestes inutiles, mais il trouvait que cela manquait de fougue, de rage. Comme celle qu’il avait pu voir avant le match, quand il lui avait remis les devoirs. Cela l’avait follement amusé. Soudain, une ombre passa sur son visage. Ses doigts se crispèrent sur la toile kaki de son baggy, tout en suivant le restant du match. Match qu’Auxence et son équipe remportèrent haut la main.
Un peu plus tard, dans la Twingo verte que conduisait Daegan, Idriss regardait le paysage de nuit défilant sous ses yeux. Il s’était muré dans un silence qui ne présageait rien de bon et qui était souvent synonyme de gros ennuis en perspectives. Daegan tenta de détendre l’atmosphère en lui demandant ce qu’il avait pensé du match et de son jeu. Le jeune homme se tourna vers lui et le scruta de ses yeux noisette.
- Tu veux savoir quoi ?
- Ce que tu en pensais.
- Ben, rien. C’était juste un match.
- Et qu’est ce que tu lui voulais à Auxence ?
- C’est qui lui ?
- Le capitaine de mon équipe que tu as demandé de voir.
- Ah…
Et Idriss retourna à la contemplation au combien monotone qui s’offrait à lui, à travers la vitre de la voiture. Daegan eut un soupir légèrement énervé. Il rêva, le temps d’un instant, de sortir son poing américain de la boîte à gants et de rectifier le portrait d’Idriss. Des fois, il l’insupportait au plus haut point. Les deux se murèrent dans le silence, jusqu’à ce que Daegan dépose le jeune homme devant chez lui et redémarre aussi sec.
Idriss, perdu dans ses pensées, entra dans sa maison qui ressemblait plus à un château qu’à autre chose, et se prit les pieds dans la table où le courrier était souvent déposé. C’était aussi le résultat d’un oubli d’éclairer de la part du jeune homme. Il jura en silence, avant de poser ses doigts sur l’interrupteur qui illumina le grand salon. Ses parents étaient, une nouvelle fois, pas rentrés chez eux. De dépit, Idriss jeta son blouson de cuir savamment usé et sa besace remplie des devoirs faits par Auxence. Ils atterrirent sur le sol, avant que le jeune homme s’affale sur un canapé moelleux de velours vert foncé qui passait par là.
Les doigts de sa main droite passèrent sur les paupières de ses yeux fermés et les frottèrent vivement. Quand il rouvrit ceux-ci, son regard fut attiré par une grande commode de bois laqué noir. Cet objet était une œuvre de la marqueterie de grand talent, qui avait couté une petite fortune à ses parents lors d’une vente aux enchères. Mais c’était surtout le contenu qui intéressait le jeune homme. Oubliant sa lassitude et ses pensées tortueuses, il se leva, se dirigea vers l’objet de sa convoitise et ouvrit grand les deux portes du meuble précieux.
Des bouteilles, que des bouteilles classées selon leur teneur en alcool. Idriss se saisit d’un grand verre à liqueur du service qui était posé sur la commode, et attrapa une bouteille au contenu d’une chaude couleur ambrée. Il tourna le goulot de métal qu’il dut forcer un peu, car elle n’avait encore jamais été ouverte, et il se servit un grand verre. Ses yeux se plaisaient à observer ce liquide coulant et ses oreilles se régalaient du bruit que faisait l’alcool quittant la bouteille. Un son sensuel, presque érotique.
Une fois son verre plein, il le vida d’un trait. Et un autre, encore un autre. Aussitôt plein, aussitôt vidé.
Idriss enchaîna les verres comme s’il buvait du petit lait. Ce n’était pas la première fois qu’il buvait ainsi. Son organisme s’y était habitué, depuis le temps.
Depuis ses douze ans, il buvait ainsi, quand la mélancolie, l’ennui ou la contrariété le gagnaient. Comme toutes drogues, au début, c’était juste pour essayer, mais petit à petit, il y avait pris goût, et cela chassait pendant quelques heures ce malaise qui le grignotait de l’intérieur.
Un bruit plus fort que les autres acheva de la tirer de son sommeil. Une main tâtonna à la recherche de l’interrupteur de la lampe de chevet. Ceylan ouvrit des yeux ensommeillés, et poussa un léger gémissement, synonyme de son envie de dormir. Elle allait le faire quand un bruit de verre cassé finit par la réveiller définitivement. Elle se doutait de ce qu’il se passait.
Elle sortit hors de sa couette chaude pour enfiler une robe de chambre de jersey rouge. Quand elle descendit les escaliers jusqu’au rez-de-chaussée, les bruits se firent plus précis et une voix s’éleva, chantant des chansons aussi élevées que le cul d’une poule. Le spectacle que lui offrait son grand frère, totalement bourré après le vidage de quatre bouteilles d’alcool aussi forts les uns que les autres, lui fit tirer une grimace de tristesse.
Il était là, à moitié affalé sur un canapé et sur un épais tapis birman, avec un tesson de bouteille à la main. A ce moment-là, la jeune fille prit peur. Elle avait trop le souvenir de la dernière fois qu’elle l’avait trouvé à boire, où il était en train de se taillader le bras gauche pour voir si le sang qui coulait dans ses veines était bien rouge sombre. Tout ce qu’il trouva à dire à sa sœur quand elle lui demanda ce qu’il faisait, c’était qu’il avait trouvé un nouveau jeu pour s’amuser.
Elle se précipita vers son frère pour lui retirer ce tesson qui lui faisait peur. Elle réussit, mais juste après, il la projeta contre un meuble. Ce fut son épaule droite qui amortit le choc, et une grimace de douleur passa sur son visage. Elle était mal, mais ce n’était rien par rapport à son frère.
Elle prit sur elle et le souleva par le dessous des épaules. Ce ne fut pas une chose aisée vu qu’Idriss avait la stature d’une armoire à glace, et sa grande taille n’aidait en rien.
Péniblement et petit à petit, Ceylan hissa Idriss au premier étage, jusqu’à la salle de bains, dont elle ouvrit la porte d’un grand coup de pied. La pièce d’eau était couverte de mosaïques de couleurs blanches et vert lagon, la robinetterie était d’acier à la brillance de l’argent. Ceylan mit son frère à genoux et pencha sa tête au dessus de la baignoire. Elle en avait l’habitude.
Elle ouvrit à fond le robinet d’eau froide, prit la pomme de douche et arrosa copieusement le jeune homme pour le faire dégriser. Il eut droit à dix minutes de ce traitement, avant que la jeune fille coupe l’eau et lui pose une épaisse serviette de bain sur la tête. Puis elle le conduisit jusqu’à sa chambre, où elle le déshabilla tant bien que mal, enleva les divers piercings qu’il portait comme à son habitude, et le glissa entre les couvertures chaudes du lit. Porté dans une espèce de délire propre aux gens bourrés, il demandait « Pourquoi ? ». Pourquoi ça ? ».
Ceylan, ne cherchant pas à comprendre ce que disait son frère, lui chanta une berceuse pour qu’il s’endorme. Ce qu’il fit, aussi rapidement qu’un bébé. La jeune fille retourna dans la salle de bains pour chercher deux cachets d’aspirine dans l’armoire à pharmacie. Elle remplit un verre d’eau qu’elle posa sur la table de chevet de son frère, avec les médicaments.
- Il faudrait que tu penses à arrêter de boire. Toi et ton organisme, vous n’allez pas supporter ça bien longtemps.
Ceylan dit cela en fermant doucement la porte de la chambre. Le restant de sa nuit serait occupé à nettoyer les dégâts du salon.
Le lendemain après-midi, sous un ciel menaçant de fin d’octobre, deux personnes faisaient un match improvisé dans un jardin, à l’arrière d’une maison cossue. Auxence jouait un un contre un avec son père. Son front suait à grosses gouttes, et son survêtement lui collait au corps. Ces matchs avec son père étaient toujours très éprouvants pour lui. D’autant plus aujourd’hui, où son esprit n’était pas vraiment là, préoccupé par le petit chantage de ce dénommé Idriss.
Il allait attraper le ballon sortant du panier quand son père s’en saisit et la garda dans le creux de ses bras. Le jeune homme lança un regard interrogatif à son paternel et lui demanda pourquoi il arrêtait le jeu.
- Auxi, tu n’es pas ici ?
- Si. Je joue avec toi.
- Non. On dirait que tu es préoccupé. Ton jeu est mou. Tu me laisses marquer des paniers trop facilement.
- Je suis juste un peu fatigué.
Ce n’était pas faux. La semaine avaient très éprouvante pour lui, notamment avec la somme importante de devoirs que lui avait donnée Idriss. Bien qu’il soit doué, ce n’étaient pas les matières qu’il étudiait en temps normal. Et malgré que cela soit un chantage, il n’aimait pas rendre un devoir bâclé. De plus, le jeune homme aurait été capable de le dénoncer pour une note plus basse. L’arrivée d’une personne, passant par les jardins latéraux de la maison, le sortit d’une conversation qu’il ne voulait pas avoir avec son père.
C’était Ephram, bien emmitouflé dans son blouson d’aviateur et les mains enfoncées dans les poches de son jean. Il adressa un rapide bonjour à monsieur Teyssler, avant de demander à parler à Auxence. Le jeune homme se saisit d’une serviette qu’il avait laissée sur la table de jardin pour la passer sur son visage et la mettre autour de cou, avant d’inviter son meilleur ami à entrer et monter dans sa chambre. Il avait le sourire. Ce n’était pas lui qui avait fait le premier pas.
Ephram s’installa sur la couette du lit défait de son ami, tandis qu’Auxence prit appui contre son bureau qui croulait sous son éternel bordel. Il y eut un silence gêné de la part d’Ephram, avant que celui-ci se lance dans de grandes explications.
- Ecoute, je suis désolé pour ce que je t’ai dit la dernière fois. Ma parole a dépassé ma pensée.
- Tu l’es vraiment ?
- Oui.
Par ce simple mot, la hache de guerre était enterrée entre les deux.
- Bien que je ne sois toujours pas d’accord avec ce que tu fais.
- Quelqu’un m’a vu vendredi dernier, et me fais chanter à présent.
- Qui ?
- Cet Idriss qui est venu me chercher dans les vestiaires, hier soir, avant le match.
- Ah…Et qu’est-ce que tu dois faire pour lui ?
- Ses devoirs. Gratuitement. C’est un grand manque à gagner pour moi.
- Alors tu n’as qu’à arrêter. C’est simple comme situation.
- Si j’arrête, il me dénoncera. Et je perdrai deux bourses qui me sont promises pour l’année prochaine.
- C’est une raison de plus. Comme cela, tu seras clean.
- Non.
- Pourquoi ?
- J’aime l’argent, et c’est si facilement gagné.
- C’est ni plus, ni moins que de la prostitution !
- Non. Je ne vends pas mon corps que je sache !
- Tu vends ton cerveau ! Ça revient au même, dit Ephram, avec toujours le même franc parler qui le caractérisait.
- Cette conversation est stérile. On en arrive toujours là.
Ephram eut un profond soupir avant de changer de sujet. Ce n’était pas le moment de se disputer à nouveau,
alors qu’ils venaient de se réconcilier.
Pour une fois, nous ne postons pas notre chapitre à 3 heures du matin, nous sommes fières de nous^^
Attention !
L'alcoolisme n'est pas une chose à prendre à la légère, il peut détruire les personnes et leur entourage. Vous ne le réalisez pas, tant que vous ne le vivez pas, mais veillez à ce que ça ne vous
arrive pas.
Sur ce, nous arrêtons de jouer les moralisatrices, et nous vous disons à la semaine prochaine, en espérant que ce chapitre vous ait plu^^
Bisous à toutes
Ne t'inquiète pas, le rapprochement va finir par arriver, patienc ;)
Bisous!
C'est pour cela qu'on a tenu à faire ce message de prévention...
gros bisous
Ceylan est géniale, c'est vrai^^
La suite arrive la semaine prochaine, comme d'habitude^^
Bisous!
Vous en saurez plus dans le prochain chapitre, surprise, surprise...^^